A sa sortie, « Une apparition » de Sophie Fontanel avait fait l’objet de beaucoup de publicité positive et de critiques élogieuses. Je n’avais pas ressenti l’envie de le lire à l’époque mais j’avais gardé les références en tête, encouragée par les avis positifs des copines, si un jour je me décidais à laisser pousser mes cheveux gris. Depuis quelques mois, j’ai fait le grand saut vers l’inconnu du cheveu gris, par ras-le-bol de cette obligation mensuelle et par défi personnel dans mon développement féministe. Et ce livre est devenu une évidence. Je me suis lancée avec férocité dans la lecture, que j’ai terminée en quelques heures. J’attendais des réponses, un écho à mes questions, un support à mes réflexions. De ça, je n’ai rien trouvé. Peut-être à cause de toutes ces attentes, justement.
Si vous ne le connaissez pas ou ne l’avez pas encore lu, « Une apparition » est un roman racontant le parcours de Sophie, qui décide d’abandonner les colorations et de laisser pousser ses cheveux blancs. C’est écrit à la première personne du singulier et complètement inspiré par la vie et l’expérience de Sophie Fontanel sur le sujet. Mais elle le présente comme étant un journal romancé et non comme un essai ou un ouvrage autobiographique. Ne sachant pas ce qui est de l’ordre de la fiction ou de la réalité, j’ai choisi de parler de la narratrice ou de l’héroïne et non pas de Sophie Fontanel elle-même dans les paragraphes qui suivent. Il me semblait important de le préciser.
Dans l’ensemble, hormis quelques anecdotes intéressantes (sur Andy Warhol ou Agnès Varda par exemple) cette lecture fut une déception.
Dès les premières pages, j’ai eu du mal à entrer dans l’histoire, à me sentir en connexion avec l’héroïne. Tout m’a semblé « trop ». Trop de glamour, de « librairies d’art dans le Marais », de « Paris-Dubaï-Milan en trois jours », de Café de Flore, de vacances, de défilés et de Saint Tropez. Ce sont des contextes et des codes que je ne connais pas et qui ne m’attirent pas, ni dans la réalité, ni dans la littérature. J’ai eu du mal à me projeter mais j’ai continué. Parce que c’était la démarche liée à ses cheveux colorés qui m’intéressait le plus.
Mais là non plus, je n’ai pas réussi à me laisser emporter par cette transition romanesque où tout est merveilleux. Dans « Une apparition », il n’y a pas de cheveux gris ternes mais un halo, une crinière de nacre, une couronne de lumière. La plupart des femmes adorent le concept, tôt ou tard. Les hommes, eux, trouvent ces cheveux blancs fabuleux, excitants, libérateurs, émouvants. Il n’y a pas d’angoisses, pas de difficultés ou si peu. Le seul petit moment de doute que vit la narratrice est balayé par un regard héroïque et ensorceleur dans le miroir.
Vous me trouvez dure ? Peut-être. Mais rien dans ce roman ne ressemble à ce que je vis depuis cinq mois.
Sous ma coloration, il y a des milliers de fils gris un peu ternes et énormément de points d’interrogation. Ce n’est ni romantique ni lumineux ni source de compliments de la part d’étrangers dans la rue. Ce passage de la couleur au noir et blanc s’accompagne de plein de questions sur mon image, le rapport aux autres, la définition de la féminité, la peur de la vieillesse ou de celle de ressembler à quelqu’un à qui on ne veut surtout pas ressembler. De tout ça, il n’en n’est pas question dans le livre.
Ce que le roman ne dit pas non plus, c’est qu’il y a des façons plus faciles que d’autres de faire le passage vers le gris. Quand vous êtes, comme l’héroïne, une femme libre, éduquée, issue d’un milieu favorisé, avec un niveau socio-économique élevé, mince, pleine de goût et évoluant dans le monde des médias et de la mode, cette décision n’a pas le même impact que prise par une autre femme. A plusieurs reprises dans le roman, on dit de la narratrice qu’elle devient plus belle au fur et à mesure de la transition. Je ne crois pas que cet effet d’embellissement et d’attraction soit dû à la couleur nouvelle des cheveux mais à une liberté supplémentaire que s’accorde une femme qui correspond déjà en de nombreux points à l’image de la femme idéale (même dans la cinquantaine).
En tant que femme grosse (pour ne citer que la plus visible de mes différences avec la narratrice), je considère que l’arrêt des colorations est un risque que je prends ; celui de renvoyer une image de négligence, d’un manque (supplémentaire !) de soin et d’attention à mon apparence. En tant que grosse, immigrée, avec un syndrome de l’imposteur chevillé au corps, le passage aux cheveux gris me met en difficulté, me rend encore plus consciente de mon image, provoque l’envie de surcompenser encore plus que d’habitude. En tant que féministe, mère de deux filles, la couleur de mes repousses signifie que je suis capable de questionner les codes de féminité qui nous sont imposés. En tant que femme pleine de doutes et consciente de mes contradictions, je ne suis pas certaine de tenir jusqu’au bout de l’exercice ou dans la durée. Peut-être que j’aurai envie de remettre mon costume de couleurs sur la tête, pour apaiser ce qui se passe à l’intérieur.
Alors oui, évidemment, j’avais peut-être trop d’attentes.
« Une apparition » n’est qu’un roman ; une des milliers d’histoires qui auraient pu être écrites autour de ce sujet, sensible, tant chacune de nous a un rapport personnel à ses cheveux et son image. Je n’étais peut-être pas prête pour la lecture de cette expérience apaisée. Qui sait, j’aurais peut-être dû le lire plus tôt, avant de mener ma propre démarche, avec ce qu’elle implique de réflexions et d’interrogations personnelles. Cela étant dit, si vous êtes curieuse de lire un ouvrage « feel good » sur le sujet, sans drames ni théorie, vous ne risquez rien à vous plonger dans cette lecture et de vous faire votre propre opinion. Et si vous l’avez lu, n’hésitez pas à me raconter ce que vous en avez pensé.

Sophie Fontanel est évidemment une icône.
Ses amies et son entourage n’ont pas toujours validé ses choix, mais comme tu dis, elle s’est libérée d’une contrainte, ce qui lui donne encore plus d’assurance et de confiance en elle.
Elle n’est pourtant objectivement pas super jolie. En tout cas, beaucoup moins que toi.
Par contre, oui, sa minceur me fait envie, de même que son aura, son sourire et sa jovialité. À présent, sa crinière blanche lui permet d’enfin sortir du lot et de se distinguer par sa différence. C’est un avis qui n’engage que moi. 😉
Là où son héroïne est différente de Sophie dans la réalité est que, d’après ce que je sais, elle vient d’un milieu plutôt modeste (famille d’emigrés).
Désolée d’apprendre que tu n’aies pas trouvé de réponses à tes questions dans cet ouvrage, mais je ne pense pas qu’elle ait toujours la vie qu’elle relate dans son livre. Elle a des galères comme toi et moi. À son niveau à elle, on est d’accord 😉😅
Je lirai peut-être alors plutôt son livre qui raconte l’arrivée de sa grand-mère en France : La Vocation.
Et j’espère sincèrement que tu pourras trouver des reponses à tes questions ailleurs.
Merci pour ce compte-rendu transparent et objectif.
Belle journée 😘
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C’est pour ça que j’ai vraiment voulu distinguer l’autrice et le personnage du livre. Parce que c’est clairement indiqué que l’histoire est romancée. Et probablement que ça a joué dans ma difficulté à me projeter…
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