Mon blogpost précédent, consacré à la représentation des grosses à la télévision, a suscité pas mal de discussions et de réactions, que ce soit en public ou en privé. Parmi elles, il y a ce texte, écrit par Sandrine.
Grosse
Ce n’est pas forcément évident de prendre la plume pour parler de quelque chose d’aussi ego-centré, je me lance advienne que pourra.
Alors voilà, je m’appelle Sandrine j’ai trente-sept ans et demi, et je suis grosse. A quel point ? Le terme technique c’est obèse mais comme disait je ne sais plus qui : « ça fait plus de surface à aimer ». Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas, je suis du genre plutôt très énergique, avec toujours mille projets sur le feu, et à courir partout sans prendre beaucoup le temps de souffler. Toujours est-il que je me suis réveillée un beau jour de janvier, fatiguée. Exténuée, plutôt. Du genre de fatigue qui ne passe pas avec plusieurs nuits de sommeil : c’était un truc sourd tapi depuis longtemps. Alors j’ai cherché et mis un peu de temps à percuter : pour être mieux, pour vaincre cet épuisement physique et mental cela devait passer nécessairement par le corps. J’ai décidé qu’il fallait que j’arrête de m’outrepasser, et que je m’occupe de moi.
Alors j’ai réfléchi : de quoi ai-je besoin ? D’une pause, peut-être ? J’ai coupé les réseaux, je me suis recentrée : et l’évidence est apparue. Je devais commencer à prendre soin de moi. Vraiment. Pas comme les trucs qu’on se promet au Nouvel-an et qui durent trois jours et demi. Je ne devais plus juste me contenter de laisser fonctionner mon corps, vaille que vaille. Il fallait vraiment faire quelque chose qui m’équilibre, m’apporte de la joie et de la sérénité.
Pas un régime. Un rééquilibrage alimentaire.
Alors, j’ai entamé ce que certain·e·s appelleront un régime. Ce n’est pas ma vision de l’affaire : je préfère parler de rééquilibrage alimentaire. Un régime, c’est restrictif, difficile, ça rend malheureux·se et surtout ça n’a aucune chance de marcher sur le long terme. J’ai commencé à analyser ce que je mangeais, la façon dont je consommais les choses et c’est tout bête : je mange mal, et parfois pour de mauvaises raisons. J’adore la bouffe, ce n’est pas un secret, mais cela fait un moment que je ne prenais plus le temps pour certains repas. Pas de petit déj, un déjeuner à l’arrache, et du coup le soir, avec la fatigue, les fringales, le stress, le grignotage devant la télé… J’outremangeais.
J’aime beaucoup ce mot. Il faut bien admettre que j’ai une légère tendance à l’excès : je
ne sais pas faire dans le mesuré. Sans tomber dans la psychologie de bazar, ces kilos accumulés, c’était sans doute aussi une forme de carapace, entre moi et moi. Et franchement, en ai-je vraiment besoin ? Je commence à me connaître, un peu, depuis presque trente huit ans. Je lui en fait voir de toutes les couleurs à mon corps, je l’ai malmené, je ne l’ai pas vraiment ménagé. Sans pour autant le détester : j’ai été mince plus jeune, puis grosse à l’âge adulte, enfin carrément obèse.
Pourtant, je n’en ai jamais nourri aucun complexe : je m’aime plutôt bien. J’aime les fringues, les jolies robes et avec le temps je sais ce qui me va et les sapes dans lesquelles je me sens bien, y compris les paillettes et les sequins. Je ne suis pas tout à fait affranchie du regard des autres bien sûr, mais je sais quoi qu’il arrive, mon avis prime. Si on veut chicaner, j’ai, il est vrai, un souci avec mon nez, légèrement trop grand et je n’aime plus trop mon ventre, qui avec les grossesses successives ressemblent plus à la toiture de Notre-Dame actuellement qu’à autre chose.
Mais pas de quoi m’empêcher de dormir la nuit, je vous rassure, je vis très bien avec mon appendice proéminent et mon effondrement abdominal. J’arrive même à avoir sur eux un regard bienveillant : mon nez, ok, il a du caractère, mais c’est une trace de mon père, c’est mon héritage. Et mon ventre signe la naissance de mes enfants, les êtres les plus importants de ma vie.
Devenir propriétaire de son corps
Alors pourquoi changer, si je m’aime assez que pour accepter tout ça ?
Pas par coquetterie : je ne veux pas correspondre à des canons de beauté (irréalistes, en plus) ou rentrer dans une case, le but n’est pas d’être (plus) belle, ou même mince. Juste de trouver un équilibre entre ce que j’aime, ce qui me fait du bien et m’apporte de la joie : je n’ai pas cessé d’aller au restaurant, je bois du vin, je ne m’interdis rien. Je veille juste à équilibrer les choses. Je kiffe mes repas, et plus encore – mon dieu, est-ce vraiment moi qui écrit ça ? – j’adore soulever de la fonte à la salle.
Résultat, les kilos s’envolent et je suis contente, ils matérialisent un constat que je fais plus général et qui compte plus que n’importe quel chiffre sur la balance : sentir les muscles de mes cuisses fonctionner quand je marche, retrouver le souffle perdu, ressentir peu à peu la force qui se dégage de ce corps qui se remuscle en entier, c’est un kiff sans nom. Un peu comme, pour prendre une métaphore de garagiste, un retour post-entretien de voiture, la satisfaction du moteur qui tourne bien. Ou comme retrouver une vieille amie qu’on avait perdue de vue depuis des années.
En recomposant mon alimentation, en me mettant au sport, ce que je voulais c’est me faire du bien. Me réapproprier cette carcasse que je traîne depuis toujours, et à laquelle je n’ai pas manifesté beaucoup de gratitude. Là, j’ai envie de m’en occuper, parce que je le mérite, et elle aussi. Et de l’occuper. De l’investir, vraiment. Depuis trente-sept ans, je n’ai été que locataire de mon corps, et une locataire très peu soigneuse encore, qui sait que comme les lieux ne lui appartiennent pas vraiment, elle peut foutre le bordel. Là, j’ai signé avec moi. Et ça y est : j’ai décidé, je deviens propriétaire.
La valeur d’un individu n’est pas lié à son poids!
Et c’est là où on en vient à la partie la plus compliquée de ce constat : j’ai perdu 14kg, en trois mois. Avec une reprise du sport, c’est clairement visible maintenant et je me prends pas mal de remarques la plupart bienveillantes mais dans certaines j’entends le jugement sur mon poids d’avant. De « T’as bien fait ! » à « Il était temps » et « Tu comptes perdre encore combien ? ». Bien envie de répondre que je ne compte pas comme ça, que je ne fais que gagner au contraire. Mais ça en dit long, ces « compliments ». Sur l’absolue nécessité de ne pas être gros·sse en société. Sur le « c’est bien que tu t’assumes mais avec quelques kilos en moins quand même… ». On peut être gros·sse et en bonne santé, bien dans sa peau. On peut ne pas avoir envie de maigrir, ou de changer.
Heureusement d’ailleurs !
On m’a beaucoup fait la remarque aussi que c’était bizarre pour quelqu’un qui a une image plutôt « body positive » de vouloir faire régime. Et encore une fois : bannissons ce mot ! Il ne s’agit pas de régime, juste de trouver pour soi une façon d’accompagner son corps pour lui rendre la vie plus douce. D’ailleurs, j’ai une nana qui me disait que pour avoir été à un moment de sa vie, peu ou prou dans le même constat, sa façon à elle de négocier le bien-être avec son corps avait été de prendre quelques kilos. Serez-vous étonné·e·s si ce poids supplémentaire a attiré lui des remarques négatives ?
A ce sujet, si l’on pouvait – à moins que la personne concernée en parle – cesser de commenter les pertes/ prises de poids : on ne sait jamais ce qui se cache derrière. Maladie, dépression, est-ce que ces kilos pris ou perdus le sont de façon volontaire ? Est-ce que ça rend heureux·se la personne ? Posez-vous la question avant d’en parler. Même bienveillant, un compliment de cette sorte envoie le message implicite que la valeur de l’individu est liée à son poids, et c’est un problème.
Se lier d’amitié avec son corps
L’autre chose qui m’a été dite, et c’est revenu plusieurs fois, c’est que le bodyposi finalement revenait aussi parfois à faire peser de nouvelles injonctions, particulièrement sur les femmes : s’assumer, s’aimer comme on est, ce n’est pas si simple à faire, surtout quand la société entière vous envoie par ailleurs en message subliminal que vous ne serez jamais assez bien. Et puis il y a les « belles grosses » et les autres : celles qui ont la taille fine, peu de ventre, des seins et des fesses, pas trop de vergetures, en somme une version XL des mannequins non plus-size. Sauf qu’encore une fois, elles ne représentent pas l’immense diversité des corps, ceux qui n’ont pas des proportions parfaites, ceux qui sont marqués par la vie simplement.
Pour moi, la clé du truc, ce que devrait vraiment être le bodypositivisme c’est peut-être d’envisager le rapport à son corps comme la construction d’une amitié. Nos ami·e·s ne sont jamais parfait·e·s, certaines choses chez eux·elles nous agacent, et pourtant nous faisons avec : le bonheur qu’ils nous procurent ne se soucie pas des petits détails et de leurs défauts. Et si on faisait pareil avec nos carcasses?
Beau texte !
Réaliste !
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