Dimanche dernier, j’ai emmené mes filles dans une plaine de jeux couverte. Il faisait dégueu, j’avais déjà épuisé leur quota de temps d’écran du week-end et mon niveau d’énergie m’empêchait d’avoir des idées d’occupations créatives. Je les ai donc emmenées dans un de ces lieux de damnation auditive en espérant pouvoir m’installer avec un bouquin et les laisser faire leur vie toute l’après-midi.
Sauf que ma blonde est revenue assez vite près de moi pour se plaindre: « Je voulais faire du toboggan mais un groupe de garçons n’arrête pas de m’embêter »! Je l’écoute, compatis, l’encourage à trouver une solution. Elle repart… pour revenir tout aussi vite râler sur le même sujet. C’est effectivement le genre de trucs qui m’énervent mais contre lesquels je ne peux rien faire. Non seulement, ce n’est pas lui rendre service mais en plus, à part me foutre la honte dans ce module gonflable pour aller gronder un gamin, que voulez-vous que je fasse?

Je lui ai donc répété la même chose que d’habitude: Ce n’est pas correct. Tu as autant le droit que les autres enfants d’être là et de profiter des jeux disponibles. Donc, trouve une façon pour t’amuser comme tu le souhaites.
Quelques minutes plus tard elle revient, l’air triomphant de celle qui a trouvé une parade. Sa solution? Embrigader sa sœur et quelques demoiselles rencontrées sur place pour former une équipe de filles. Pendant que l’une descend du toboggan, les autres surveillent les alentours et empêchent les casse-pieds de s’approcher. En quelques minutes, face à une nuisance somme toute assez légère, ma fille a décidé qu’un gang de filles pouvait venir à son secours. Et elle a eu raison.
Prise de pouvoir
Quand on regarde les jeux d’enfant avec un peu de recul, on peut constater qu’ils ont beaucoup de points communs avec les relations entre adultes. Dans les deux cas, les personnalités les plus entreprenantes et les plus fortes (ou en tout cas qui l’imposent) finissent par prendre toute la place; les plus discrets ou les plus faibles préférant s’écarter plutôt que de subir les conséquences. Et si on observe ces situations à travers le prisme du genre, on doit se rendre à l’évidence: ce sont les filles qui se mettent généralement de côté. Et ce, pour plein de raisons. Parce qu’on leur apprend à être sages et gentille, qu’on valorise leur douceur et leur capacité naturelle à s’occuper des autres, qu’on ne les laisse pas prendre autant de place que les garçons (eux, sont « comme ça », c’est pas pareil…).
On peut encourager individuellement nos gamines à prendre de la place, à s’imposer. On doit le faire. Mais on peut aussi leur apprendre qu’il est possible de faire front ensemble. Qu’elles ont tout à gagner à trouver de l’aide et du support auprès d’autres filles qui vivent potentiellement les mêmes difficultés. Ensemble, elles auront plus de ressources, plus d’idées. Ensemble, elles se sentiront soutenues, même si tout ne résout pas aussi facilement qu’une descente de toboggan.

Sororité
Il ne s’agit pas ici d’apprendre aux filles à lutter contre les garçons, loin de là. L’idée est de permettre aux petites/jeunes filles d’expérimenter la sororité dès le plus jeune âge; cette solidarité qui lie et renforce les filles/femmes par le partage d’expériences et le soutien bienveillant. Et si vous pensez que c’est juste un concept pour trentenaires dépassées par le harcèlement et la charge mentale, détrompez-vous. Même à 7 ou 8 ans, les filles commencent à expérimenter des situations qui sont inhérentes à leur genre; chose qui ne fera que s’amplifier avec l’adolescence. Leur apprendre à trouver des appuis et de la force chez les autres filles, qu’elles soient sœurs, amies ou relations de passage, c’est leur donner un outil de plus pour les aider à grandir avec force et confiance.
