En cet été 2018, je fête un anniversaire important dans ma vie: le 30ème anniversaire de mon arrivée en Belgique. C’est une étape cruciale, qui a fait dévier considérablement ce que la vie avait prévu pour moi…
Juillet 1988. Après des mois d’un divorce qu’on qualifierait aujourd’hui de « très compliqué », maman m’annonce que nous allons partir toutes les deux rejoindre des amis dans un autre pays. La Belgique. Je ne sais pas où c’est ni pourquoi on s’en va; je sais juste que je n’ai pas envie de tout quitter. Mais elle dit que ce sera chouette, que je vais rencontrer des gens très gentils, qu’on va refaire une nouvelle vie à nous deux. Que ça va être mieux.
Papa, lui, me dit que je ne suis pas obligée, que je peux choisir. Je peux décider de rester avec mes cousines, mon école, mes copains, mon vélo. Et avec lui. Il promet qu’on aura une maison cette fois, que c’en est fini de vivre sous la maison des autres. J’aurai une chambre à moi, avec des nounours sur la commode, des fenêtres, des rideaux et une jolie vue. Il dit que ça va être mieux.
Mais comment choisir quand on a 7 ans? Comment peut-on décider si on veut sa maman ou son papa? Une « nouvelle aventure » ou la vie qu’on a toujours eue? Non pas que la vie ait été normale jusque là mais bon, quand c’est la seule qu’on a, on y tient du haut de ses 7 ans! Comment aurais-je pu dire si je préférais mon papa et mes habitudes ou ma maman et son voyage vers l’inconnu? Je ne sais pas si j’ai formulé un choix. Autant certaines choses sont très vives dans ma mémoire, autant d’autres ont complètement disparu. Si j’ai fini par verbaliser ma préférence pour l’une ou l’autre des options, ma mémoire a effacé ce choix de mon disque dur interne.
Et c’est peut-être mieux comme ça.
Orpheline
Au final, on s’en va. Sans rien, ou presque. Je me revois partir avec quelques photos, les vêtements que j’ai sur le dos et ma poupée. Une poupée chauve, avec juste une mèche de cheveux blonds attachés en couette sur son crâne. Un crâne à l’odeur indescriptible, évoquant l’ouate, le sucre, la poudre, les nuages, les bonbons. La description semble étrange mais c’est la seule que j’ai. Encore aujourd’hui, si je pense au crâne de cette poupée, je sens cette odeur dans mon esprit.
Maman vient me chercher, elle pleure, elle a peur. Elle a peur qu’on ne puisse pas partir, qu’il nous retienne, qu’il ne veuille pas qu’on s’en aille, qu’il me prenne avec lui. On se cache, on se faufile, on passe d’un lieu à l’autre comme des espions en cavale, rasant les murs, nous méfiant de nos ombres. C’est qu’elle imagine que je suis une enfant assez précieuse pour qu’il veuille me garder près de lui à tout prix. Un peu comme dans les films américains où le papa qui aime son enfant plus fort que tout, court dans le hall de l’aéroport, arrive juste au moment de l’embarquement pour lui dire qu’il l’aimera toujours et qu’il la rejoindra. Que jamais il ne laissera sa petite fille chérie.
Sauf qu’il ne viendra pas. Il ne me cherchera pas. Ni ce jour-là, ni un autre. A ce moment, je ne le sais pas encore mais je ne le reverrai plus. Depuis l’été 1988, le mot « papa » n’a plus aucun sens pour moi. Je serai orpheline d’un père vivant qui n’aura pas cherché à me retrouver.
Des racines…
C’est la première fois que je prends l’avion mais je n’ai aucun souvenir d’avoir été épatée ou émerveillée par ce baptême de l’air. Je l’ai probablement été, l’aventure n’a rien d’anodin pour une petite fille de la campagne. Mais comme pour d’autres choses, mon cerveau a zappé l’information. Non pas qu’elle était inutile mais elle était surtout beaucoup moins puissante que l’autre évènement majeur de ce vol.
Tout près de nous se trouve un couple avec un bébé qui pleure en continu. Enfin non, il ne pleure pas, il hurle, sans discontinuer. Les parents tentent désespérément de le calmer, les hôtesses essayent de garder tout le monde zen. Ce sont les turbulences disent-elles… Pauvre bébé affolé, pauvres passagers aux tympans percés. Et moi, j’ai le souvenir très net d’avoir été à la fois angoissée et fascinée par ses hurlements désespérés.
Je repense souvent à cette scène. Et avec le recul de l’âge adulte, j’ai l’impression que ce petit bout pleurait pour moi, qu’il faisait ce que moi je ne pouvais pas exprimer. Il hurlait sa douleur, sa peine, sa peur alors que moi, je devais rester calmement sur ce siège. Comme si ses cris étaient les miens et sa terreur était la mienne, pauvre petite fille affolée. Déracinée.
… et des ailes
En posant le pied sur le sol belge, j’ai démarré une nouvelle vie. Il a fallu découvrir un pays, reconstruire une famille, rencontrer des amis, apprendre le français et mille autres choses que je n’aurais pas pu découvrir ailleurs. Et sans même m’en rendre compte, je suis enracinée à nouveau.
Il y a dizaine d’années, j’ai introduit une demande de naturalisation. C’était une évidence, une sorte de point final de mon enracinement, un besoin physique d’être attachée officiellement à ce plat pays, grand comme un confetti, qui m’a accueillie. Qui est devenu le mien.
Une histoire très émouvante qui se lit comme un chapitre d’un roman. Cela m’a touchée parce que j’ai une petite fille de 7 ans qui a parfois le sentiment de devoir « choisir » entre ses 2 parents, de devoir renier l’un pour gagner l’approbation de l’autre.
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Merci beaucoup Vero, ça me touche énormément.
Ma deux cocottes ont 7 et 8 ans et vivent en alternance avec papa et maman. Donc je comprends très bien pourquoi ça te touche…
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